Passer les derniers jours de l’année 2022 à Florence. Me ressourcer & renouer avec cette partie de moi… si intime, si essentielle. Après des semaines sans écrire, à tenter, à échouer, c’est une fois de plus la cité florentine qui me donne l’envie & l’élan de reprendre la plume. Après des mois sans publication, c’est au creux du berceau de la Renaissance que je recouvre l’envie de créer.
Je suis arrivée à Florence épuisée, vidée, éteinte. Je m’y suis sentie nourrie, remplie, animée & ce, dès les premiers pas. Descendre la Via Romana, rejoindre le centre historique, respirer & s’emplir d’une énergie singulière, celle de la renaissance. Telle une impulsion, un mouvement… immuable, inlassable vers soi.
J’ai longuement hésité entre ces deux thématiques : « nourriture » & « renaissance ». Je n’ai pas eu la volonté de choisir ; était-ce nécessaire ? S’abreuver à la source, déguster un bon repas, se délecter de beauté, savourer un moment à soi, s’enivrer de connaissance… Laisser la frustration s’estomper, le contentement s’accroître, l’enthousiasme rayonner & se sentir renaître.
S’abreuver à la source.
Je n’ai pas choisi Florence. Elle est venue à moi au travers d’un texte jusqu’alors jamais traduit en français & encore peu étudié. En 2002, je découvre I Ragionamenti de Giorgio Vasari & je plonge avec passion dans leur univers : Les Médicis, Giorgio Vasari, la Renaissance, Florence. J’insiste ici sur cet épisode parce qu’il fait partie de ces moments qui changent une vie… comme si en ouvrant ces pages, j’amorçais en parallèle un nouveau chapitre de mon existence, comme si avec ce projet de recherches, j’avais ouvert la voie – sans même que je m’en rende compte – à une réflexion profonde & intime sur moi-même. Il y a une corrélation évidente entre les prémisses de ce travail & tous les bouleversements personnels qui ont suivi, j’en suis certaine. À l’époque, je suis arrivée à Florence la tête dans mes recherches, bien installée dans une vie confortable où je ne me posais pas trop de questions. Petit à petit, au fil du temps, de nos rencontres & de nos retrouvailles, de mes recherches & de mes trouvailles, je me suis découverte moi-même. Ce cheminement personnel ne s’est pas arrêté après ces 449 pages. Je n’ai jamais refermé le « livre » ; comment le pourrais-je. J’ai continué d’écrire de nouveaux chapitres avec la même intention, celle de me réaligner sans cesse, de me retrouver inlassablement, de cheminer continuellement vers moi.
Se délecter de beauté.
Lorsque je suis à Florence, je suis enveloppée de beauté. Elle m’étreint, m’ancre & me transporte. Cette beauté est souvent associée à une perspective, une vue qui me saisit plus que les autres, qui se fixe dans ma mémoire & autour de laquelle se construit & se cristallise toute la parenthèse. Souvent inattendu, cet intervalle revêt alors le goût délicieux de la surprise, d’un cadeau, du présent. Un moment suspendu.
Je me souviens des panoramas éblouissants depuis les Roof top de la ville, de la vue du Duomo qui émerge au détour d’un virage, de ce jardin ouvrant sur la campagne toscane. Cette fois, c’est une vision presque enchanteresse du Ponte Vecchio qui m’a captivée.
Un instant imprévu, un endroit insoupçonné. L’Osteria del Ponte Vecchio se situe au numéro 16 de la Via Borgo San Jacopo. Une adresse qui vous accueille en alternance, une semaine sur deux, ce qui rend la circonstance d’autant plus exceptionnelle. L’entrée ne paie pas de mine. Une première pièce étroite, toute en longueur, où l’on se presse pour commander panini & bevande. Puis, un coup d’œil sur la droite & la magie opère. Une petite terrasse donnant sur l’Arno & l’arrière des échoppes du Ponte Vecchio. Quelques tables. Des bougies. Des guirlandes lumineuses. Il est 18 heures, la nuit a recouvert le ciel de Florence & les premières étoiles scintillent. Enveloppée dans une coppertina, je me délecte de la beauté du lieu comme du moment. Il a la saveur de ces parenthèses que j’aime tant ; de celles où le temps s’arrête, où le présent à tout à coup un goût d’éternité.
Déguster un bon repas.
L’Italie a toujours incarné pour moi l’image de la terre nourricière & ce à différents égards. Aussi, lorsque je suis en Italie, la question de la « nourriture » n’est jamais très loin. Toutefois, lors de cette escapade, elle m’a percutée avec une violence presque vitale. La nécessité de me nourrir le corps, le cœur & l’esprit s’est matérialisée avec l’ardeur de l’évidence.
Me revigorer au cœur de cette cuisine toscane simple, savoureuse, authentique, me réchauffer au creux de ces mets toscans traditionnels. Il y a eu bien sûr l’incontournable Bistecca alla Fiorentina, accompagnée de verdure fritte, dégustée à la Trattoria dei 4 Leoni située Piazza della Passera. J’aimerais toutefois m’attarder sur cette petite Trattoria située Via Romana, à quelques mètres d’une des entrées du Jardin de Boboli, & vous parler de ces Pappardelle al cinghiale, de cette Zuppa di cavallo nero, tellement réconfortante, agrémentée de fagioli, ditalini, formaggio stagionato, de petits croutons revenus dans du lard, tout cela arrosé bien sûr d’un verre d’un merveilleux Chianti & en dessert, des cantucci aussi moelleux que ce vin santo fut délicieux ! Si « manger » évoque un besoin primaire, « se nourrir » suggère l’idée de sensations, d’émotions & croyez-moi, j’ai puisé dans chacun de ces plats toute la chaleur & le plaisir qu’ils ont bien voulu m’accorder.
Savourer un moment à soi.
S’échapper seule, ne serait-ce que quelques minutes, pour respirer pleinement & ressentir intensément ce lien si personnel & si précieux qui me lit à cette ville qui ne cesse de m’émouvoir par sa beauté, de me séduire par son raffinement, de m’enthousiasmer par sa douceur de vivre. Florence est un ailleurs qui me rapproche à chaque fois un peu plus de celle que je suis & qui fait que, à peine partie, il me tarde déjà de revenir !
Pour la première fois, je me suis accordée une visite seule au Palazzo Vecchio. Au cours de ces années, aussi étrange que cela puisse paraître, je n’avais jamais eu l’occasion de parcourir ces salles, d’explorer ces peintures, seule. J’ai immédiatement ressenti une forme de légèreté, de liberté & ce bien avant de pousser les portes du monument. Je me suis promenée dans les rues florentines jusqu’à me trouver à l’angle de la Via Por Santa Maria, nez à nez avec « mon » Palazzo Vecchio, mon point de repère dans la cité & sans doute un peu dans ma vie. Il est 9h40 lorsque je pénètre dans le Cortile di Michelozzo & je suis tout de suite happée par une émotion réconfortante. Je suis en terrain connu. Au fil des quartiers que j’arpente à mon rythme, la magie opère, tout me revient. Les peintures « s’animent », « me parlent » & mon histoire avec ce lieu se ravive & continue de s’écrire. Je reprends le fil, je savoure cette intimité ; entre nous, avec moi. Pour une fois pas d’explications mais le silence celui qui m’entoure dans les lieux « sacrés », celui qui m’apaise & me permet d’entendre l’essentiel.
S’enivrer de connaissance.
Lors de cette visite, je me suis attardée devant la fresque « Les prémices de la Terre offertes à Saturne ». Les couleurs m’ont rappelé celles des fresques de la Casa Vasari… Du rose, du jaune, du vert… Les couleurs comme un récit entre ces deux lieux, un lien entre ces deux moments.
Durant ma thèse, je me suis passionnée pour ces peintures, pour leur message, toutefois, j’ai « occulté » la couleur ; alors qu’à ce moment précis, elle m’a enveloppée avec émotions. J’ai eu envie de creuser le sujet. Selon les propos de Michel Pastoureau, la couleur est la grande absente de l’histoire, de l’histoire de l’art & de l’histoire de la peinture. L’historien évoque différentes raisons. Je retiendrais celle qui concerne la querelle autour de la primauté du dessin ou du coloris qui commença au Moyen-Âge & s’intensifia au 16ème siècle. Cela m’a rappelé le livre de Gilles Hertzog « Le séjour des dieux » dont le thème est cette « tension » entre le dessin toscan & les coloris vénitiens, entre Michel-Ange & Titien. Giorgio Vasari était un fervent défenseur du dessin. Pour autant, que pensait-il de la couleur ? A-t-il abordé cette question dans ces œuvres littéraires ? Dans Le Vite ? Dans Les Ricordanze ? Dans Lo Zibaldone ? Dans I Ragionamenti ? L’envie de rouvrir ces livres, de parcourir ces pages, animée par cette nouvelle perspective m’a étreinte avec passion. Laissez-moi vous dire à quel point j’aime ce moment où le questionnement se profile, où les idées affluent, où je ressens le besoin de prendre frénétiquement des notes, où je me sens tout simplement vivante ! Ce tête-à-tête avec la fresque de Vasari a réveillé ma soif d’apprendre & j’ai recouvré – et ce pour mon plus grand plaisir – l’envie de m’enivrer de connaissance.
L’art de se nourrir.
S’abreuver à la source. Se délecter de beauté. Déguster un bon repas. Savourer un moment seule. S’enivrer de connaissance. Cette parenthèse florentine réunit & cristallise l’essence même de ce qui me constitue & de ce qui me fait du bien. Les bienfaits que j’y ai ressentis & le dynamisme qu’elle m’a insufflée sont venus mettre le doigt sur cette problématique tellement fort que je ne peux plus l’ignorer.
Se nourrir au quotidien est à mon sens un art qui, à l’instar de l’art de vivre, induit & suppose une volonté, une discipline, un travail mais également une connaissance pointue & aiguisée de soi. Ce cheminement, je l’emprunte depuis suffisamment longtemps pour savoir précisément ce qui me nourrit, ce qui me fait du bien, ce qui étanche mon sentiment de frustration : l’amour, le beau, la lecture, l’écriture, le partage, la cuisine, la connaissance, la Provence, l’Italie, Florence, la Renaissance. Pourtant, je suis forcée de constater que j’ai trop souvent la désagréable sensation que ces éléments se voient réduits à de trop rares moments & que l’équilibre « épanouissement/épuisement » est trop souvent menacé, vacillant. Il est absolument nécessaire que cette année 2023 soit mise sous le signe de cette « nourriture » & de l’énergie qui en découle : nourrir éperdument mais consciemment mon corps, mon cœur, mon esprit ; voilà mon intention ! Et pour ancrer les choses, j’ai très envie de reprendre la plume à travers le prisme de cette thématique qui s’insinue & s’inscrit naturellement dans le dessein initial & immuable de ces parenthèses au creux desquelles je chemine.
A presto,
Carole
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