Dans l’article intitulé « Une thèse comme l’élément d’un puzzle », j’avance l’idée que ma thèse puisse être appréhendée non pas comme le résultat, comme la conclusion d’un travail de recherches mais plutôt comme le principe, l’origine d’un cheminement personnel. Enthousiasmée par ce point de vue, j’ai donc entrepris une énième relecture de ces pages avec pour seule boussole cette perspective inédite & inexplorée.
J’ai toujours envie de mettre en lumière certains passages de cet ouvrage à la faveur de situations actuelles mais je caresse également l’ambition de partager plus globalement le sujet en couvrant les différentes parties de ce travail & en proposant régulièrement des parenthèses culturelles ; qu’en pensez-vous ?
Ces parenthèses, je veux les placer sous le signe de l’émotion. Je tiens à préciser que même si j’ai eu la chance d’avoir des directeurs de thèse absolument fabuleux, je ne me suis jamais sentie à ma place dans le système universitaire… trop « scientifique » à mon goût. Comme je le dis dans l’article Palazzo Vecchio & Co, j’ai fait une thèse pour le plaisir :
« Une thèse pour le plaisir ! J’insiste sur ce terme parce que c’est une notion très importante pour moi qui explique chacun de mes choix, dictés par l’envie de proposer un travail qui me ressemble. Un travail certes imparfait, probablement atypique mais totalement passionné ! Un travail qui traite d’univers qui m’ont toujours intrigués, questionnés ; un travail qui a développé mon amour pour l’écriture à travers le plaisir de coucher sur le papier mes réflexions, de chercher le bon mot, la bonne tournure, la belle image ; un travail grâce auquel j’ai découvert Florence, ville pour laquelle j’ai eu un véritable coup de cœur ; un travail grâce auquel j’ai vécu des parenthèses inoubliables comme cette lettre de Michel-Ange contenant un dessin à main levée de l’artiste de la coupole de la Basilique Saint-Pierre que le conservateur du Museo Casa Vasari à Arezzo a eu, un jour de novembre 2008, l’extrême gentillesse de me montrer, comme la découverte de la bibliothèque du Palazzo Strozzi où j’ai passé deux heures à admirer les lieux plutôt qu’à effectuer mes recherches ou encore comme ces rendez-vous avec la page blanche, rendez-vous intimes, excitants, grisants où tout est encore possible ! »
Une thèse pour le plaisir ! Comme un prolongement de moi, de ce qui me caractérise, de ce qui me fait vibrer ! Une thèse de laquelle j’aimerais extraire la substance, exprimer la quintessence dans le but de la partager avec un lectorat curieux de découvrir un pan de la Renaissance à travers ma vision « personnelle » ; basée certes sur une recherche scientifique mais profondément animée par la quête de l’émotion.
Arpenter les différentes salles du Palazzo Vecchio en connaissant son histoire, observer les fresques de Giorgio Vasari en disposant des clefs de lecture, comprendre ce qui se joue derrière l’agencement des quartiers, tenter de s’approcher au plus près du message de l’artiste ; c’est avoir l’opportunité de voir ce qui ne se voit pas, c’est avoir la chance d’aller au-delà du plaisir esthétique, c’est avoir la sensation que la peinture s’anime.
Pour ce premier rendez-vous, je vous propose de commencer par le commencement en vous rapportant les premières pages de ma thèse qui nous invitent à pousser ensemble les portes du Palazzo Vecchio. Le thème de la visite guidée est le point de départ des Ragionamenti de Giorgio Vasari (œuvre sur laquelle j’ai travaillée & dont je vous reparlerai aux détours d’un prochain rendez-vous); je vous propose de marcher dans ses pas… Retrouvons-nous sur la mythique Place de la Seigneurie, c’est là que tout commence ! Puis, si le sujet vous séduit, si le cœur vous en dit, je serai votre guide pour une visite ou une revisite de ce symbole de Florence ; une visite à la lumière des révélations de l’artiste lui-même, à la lueur de propositions plus personnelles.
Introduction
« Si grande que fût l’idée que je m’étais faite d’avance de la place du Palais-Vieux, la réalité fut, si je dois l’avouer, encore plus grande qu’elle : en voyant cette masse de pierres si puissamment enracinée au sol, surmontée de sa tour qui menace le ciel comme le bras d’un Titan, la vieille Florence tout entière, avec ses Guelfes, ses Gibelins, sa balle, ses prieurs, sa seigneurie, ses corps de métiers, ses condottieri, son peuple turbulent et son aristocratie hautaine, m’apparut comme si j’allais assister à l’exil de Cosme l’Ancien, ou au supplice de Salviati. En effet, quatre siècles d’histoire et d’art sont là à droite, à gauche, devant, derrière, vous enveloppant de tous côtés, et parlant à la fois avec les pierres, le marbre et le bronze, des Nicolas d’Uzzano, des Orcagna, des Renaud des Albizzi, des Donatello, des Pazzi, des Raphaël, des Laurent de Médicis, des Flaminius Vacca, des Savonarole, des Jean de Bologne, des Cosme Ier et des Michel-Ange. Qu’on cherche dans le monde entier une place qui réunisse de pareils noms, sans compter ceux que j’oublie ! et j’en oublie comme Baccio Bandinelli, comme l’Ammanato, comme Benvenuto Cellini. Je voudrais bien mettre un peu d’ordre dans ce magnifique chaos, et classer chronologiquement les grands hommes, les grandes œuvres et les grands souvenirs, mais c’est impossible. Il faut, quand on arrive sur cette place merveilleuse, aller où l’œil vous mène, où l’instinct vous conduit. » – Alexandre Dumas Père, Une année à Florence.
Inaugurer notre étude sur I Ragionamenti de Giorgio Vasari par cette citation d’Alexandre Dumas père, extraite de son récit Une année à Florence, revient à présenter le Palazzo Vecchio comme un symbole de la cité florentine, comme un lieu de mémoire où art et histoire s’unissent et se confondent. Érigé sur la mythique Place de la Seigneurie, l’édifice domine la ville depuis plus de sept siècles. De 1299, date à laquelle l’architecte Arnolfo di Cambio pose la première pierre, jusqu’à nos jours, la fonction de l’ancien Palais des Prieurs paraît immuable. En dépit des effets du temps comme des remaniements de l’homme, il incarne continuellement le centre de la vie politique, civique et sociale de Florence. Édifié pour accueillir le gouvernement de la patrie, il demeure, après avoir été le siège de la République et du pouvoir médicéen, celui de la municipalité au sein duquel l’histoire de la cité continue de s’écrire au présent.
Cependant, malgré la rémanence du symbole et de la fonction, l’imposante construction qui s’offrit à Alexandre Dumas père au XIXe siècle et qui se présente à nous aujourd’hui est bien différente de l’édification initiale. Tel qu’il nous apparaît, le Palazzo Vecchio est le fruit de continuels et de multiples agrandissements qui ont transformé le noyau originel médiéval en un ensemble monumental. Afin de se rendre compte de ce à quoi ressemblait l’édifice dans sa conception primitive, il convient de se poster sur la Place de la Seigneurie, d’observer la façade Ouest du bâtiment et d’occulter l’énorme complexe qui se déroule et s’étend vers l’Est.
À la fin du Duecento, après une longue période dédiée à la recherche d’un lieu adéquat, débute à Florence la construction d’un palais public destiné à accueillir et à loger le gouvernement de la cité composé alors de prieurs, issus de la corporation des arts, et d’un gonfalonier de justice. Par la suite, le Palais des Prieurs va connaître une série de modifications et d’expansions dont la plus radicale et la plus symbolique a lieu dans la seconde moitié du Cinquecento après que Cosme Ier de Médicis, nouvellement élu duc de Florence, eut emménagé au palais communal avec sa famille et sa cour. Le Palais de la Seigneurie, témoin jusqu’alors de la puissance républicaine, devient conséquemment le siège de la suprématie médicéenne. Ainsi, emblème de l’histoire politique florentine, celui qui est parvenu jusqu’à nous sous le nom de Palazzo Vecchio (pour la petite histoire Le Palais de la Seigneurie fut appelé Palazzo Vecchio lorsque la cour médicéenne emménagea au Palais Pitti) nous convie à un captivant voyage dans le temps dont les stigmates s’affichent sur la façade méridionale.
[…]
Si dès l’été 1537, Cosme Ier de Médicis assoit son pouvoir avec la victoire de Montemurlo contre i fuorusciti, son premier geste hautement symbolique et stratégique se cristallise dans le choix de la résidence ducale. En 1540, un an après son mariage avec Éléonore de Tolède, Cosme Ier abandonne le palais familial des Médicis, situé Via Larga, et s’installe au sein du Palais de la Seigneurie, au cœur de l’antique siège du gouvernement républicain.
L’emménagement de Cosme Ier dans le Palais de la Seigneurie traduit sa volonté d’implanter son pouvoir naissant dans le centre névralgique de la ville comme son intention de souligner la filiation entre son gouvernement et la tradition républicaine, chère aux Florentins. Dans ce but, le duc entreprend un vaste chantier de rénovation fondé sur une opposition extérieur/intérieur. Si l’écrin de pierres que forme la façade médiévale de l’ancien palais du peuple, caractéristique de l’austérité républicaine, reste inchangé, l’édifice est agrandi et l’intérieur profondément modifié. Par-delà les murs, la sévère construction inadaptée et inorganisée laisse place à un univers conforme aux nouvelles exigences de la cour. Cosme Ier confie tout d’abord les travaux à des artistes tels que Baccio Bandinelli, Baccio d’Agnolo ou encore Battista di Marco del Tasso. Il faut cependant attendre l’arrivée de Giorgio Vasari, qui entre au service du Médicis à la fin de l’année 1554, pour que l’idéologie ducale se matérialise et se manifeste. L’artiste, en étroite collaboration avec son duc et mécène, va concevoir au sein du Palais Ducal un microcosme stratifié, organisé autour de systèmes de correspondances entre les différents étages et les différents quartiers ayant pour but la glorification de la famille médicéenne.
[Prochain rendez-vous : Le système de correspondance]
A très vite,
Carole
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