Le fil de la Création


FRAGMENTS DE THESE / mercredi, juillet 22nd, 2020

Dans mon article « Les Parenthèses de Carole » publié il y a quelques jours, j’évoque mon envie de partager certains passages de ma thèse. Depuis l’ouverture de ce blog, ce dessein ne m’a pas quittée ; il est pourtant difficile – je trouve – d’intégrer ici de façon naturelle & cohérente des extraits issus d’une démarche scientifique. Néanmoins, une petite voix me dit de poursuivre dans ce sens… c’est comme un appel profond, un élan instinctif que j’ai choisi de considérer… Me laisser porter & au gré d’idées, de mots, de thèmes, dérouler certains liens, transmettre certaines facettes de ce travail ; jusqu’à découvrir la place & le sens de cette thèse dans ma vie.

Le 20 juin, je participais au second événement Italian Joie de vivre organisé par Alidifirenze sur le thème de la créativité. Parler de créativité depuis Florence, berceau de la Renaissance, m’a immédiatement rappelé un volet captivant de cette période extraordinaire. Si dans la pensée médiévale l’Homme est soumis aux influences astrales, à la Renaissance, il « devient » un être exceptionnel doté de libre arbitre ; acteur de son existence, artisan de sa destinée. Il est alors celui qui sait retrouver le chemin de la divinité, de « sa » divinité & avec elle, son pouvoir démiurgique. Quand on y réfléchit, il y a quelque chose de très moderne dans cette dimension ; vous ne trouvez pas ? Les livres de développement personnel ne nous incitent-ils pas à renouer avec notre pouvoir créateur, à créer notre vie ?

Il se dessine en effet un lien essentiel entre la créativité, la création & notre individualité, notre unicité. Pour ma part, la créativité s’apparente à un fourmillement d’idées, indissociable de l’écriture. Des parenthèses dans lesquelles je me sens totalement moi, durant lesquelles je suis parfaitement alignée ; la créativité, la création comme un cheminement vers soi, comme un rendez-vous avec soi.

« Toute création a un modèle exemplaire : la création de l’univers par les Dieux ».

Mircea Eliade, Aspects du mythe.

Cette citation du mythologue Mircéa Eliade place la création dans une perspective à la fois primordiale & divine ; comme un retour aux origines qui selon moi fait écho à la créativité comme une clef d’accès à son identité profonde & intime. Se dégage alors une « tension » extrêmement intéressante entre l’ancrage symbolisé par ce retour – indispensable – aux sources & une forme d’ascension suggérée par cette idée de tendre & d’atteindre la meilleure version de soi même.

Si cette thématique de la créativité a ravivé mon intérêt pour cette facette de la Renaissance, elle m’a également rappelé certains passages de ma thèse dédiés à la thématique de la création ; omniprésente.

J’ai choisi de partager un infime fragment de ce travail extrait d’une partie dédiée à la réécriture du mythe cosmogonique :

« La cosmogonie, [écrit Mircéa Eliade], est le modèle exemplaire de toute espèce de faire : non seulement parce que le Cosmos est l’archétype idéal à la fois de toute situation créatrice et de toute création – mais aussi parce que le Cosmos est une œuvre divine ; il est donc sanctifié dans sa nature même. Par extension, tout ce qui est parfait, plein, harmonieux, fertile en un mot : tout ce qui est cosmisé, tout ce qui ressemble à un Cosmos est sacré. Faire bien quelque chose, œuvrer, construire, créer, structurer, donner forme, informer, former, tout ceci revient à dire qu’on amène quelque chose à l’existence, qu’on lui donne vie, et, en dernière instance, qu’on le fait ressembler à l’organisme harmonieux par excellence, le cosmos. Or, le cosmos, pour le répéter, est l’œuvre exemplaire des dieux, c’est leur chef-d’œuvre. » (Mircéa Eliade, Aspects du mythe)

Cette définition nous invite à élargir notre propos sur la réhabilitation du Palais de la Seigneurie (Palazzo Vecchio). À la lumière des mots du célèbre mythologue, le Palais Ducal de Florence se révèle tel un lieu cosmisé où règne le sacré.
Lorsque Cosme Ier emménage au Palais de la Seigneurie, il exprime un geste politique fort : il promulgue son autorité. De même, en décidant la restauration du palais, le jeune duc crée un Monde, il érige un Univers : celui des Médicis.

« Un territoire inconnu, étranger, inoccupé (ce qui veut dire souvent : inoccupé par les « nôtres ») participent encore à la modalité fluide et larvaire du « Chaos ». En l’occupant et surtout en l’installant, l’homme le transforme symboliquement en Cosmos par répétition rituelle de la cosmogonie. Ce qui doit devenir « notre monde » doit être préalablement « créé », et toute création a un modèle exemplaire : la Création de l’Univers par les dieux. » (Mircéa Eliade, Aspects du mythe)

Mircéa Eliade revient sur cette idée dans son ouvrage intitulé Le sacré et le profane :

« Il s’ensuit que toute construction ou fabrication a comme modèle exemplaire la cosmologie. La Création du Monde devient l’archétype de tout geste créateur humain, quel qu’en soit le plan de référence. » 

Assurément, la transformation du Palais de la Seigneurie en Palais Ducal exprime le passage du chaos à l’ordre, des ténèbres à la lumière, et, en cela, représente la répétition d’un acte primordial. Par extension, le thème de la réhabilitation étant une métaphore du nouveau gouvernement médicéen, symbole d’ordre au regard de la confusion de l’ancienne République, le thème de la cosmogonie subit une véritable mise en abyme.
I Ragionamenti de Giorgio Vasari sont une réécriture du mythe cosmogonique parce qu’ils relatent le mythe des origines tout en le modifiant en raison de leur dimension didactique et apologique. Le Palais Ducal devient une image du monde en tant que répétition de l’acte primordial de la Création, tant lors de son édification, de sa rénovation, que de sa décoration.
En outre, lors de l’étude de la composition des Ragionamenti, nous avions pressenti que le Palazzo Vecchio pouvait être considéré comme un microcosme comportant trois niveaux cosmiques et que la Salle des Cinq-cents fonctionnait comme un centre. Le dispositif métonymique proposé par l’architecture de l’édifice et mis au jour par l’écriture, dans Les Entretiens, traduit les analogies cosmiques entre le Ciel et la Terre. Dans ce cas, le système de correspondances dans son ensemble, de même que son aboutissement dans la Grande Salle, qui représente la fusion entre les divinités païennes et les dieux médicéens symbolisée en la personne de Cosme Ier, nouvelle déité, ne serait-il pas un axis mundi, un axe cosmique, un centre du monde qui exprime cette connexion entre le Ciel et la Terre ? Le dispositif topographique fonctionnerait à la fois comme un axe de lecture des Ragionamenti et des peintures du palais mais également comme un axe du monde positionnant le duc médicéen, Florence, la Toscane, ainsi que l’artiste qui l’a créé, au centre de l’Univers ; la célébration atteignant ici sa complétude comme son apogée.
Vasari propose, dans son œuvre picturale, architecturale comme littéraire, une mise en abyme du motif de la Création. La Toscane, Florence, son duc et son palais, projetés dans une magistrale mise en abyme, représentent chacun et simultanément une image de l’Univers, un centre du monde. Le système de correspondances est donc l’Axis mundi qui relie les dieux médicéens aux dieux mythologiques et le Palazzo Vecchio, l’Axis mundi qui relie la Terre au Ciel. Dans tous les cas, puisque le centre est la « place où s’effectue une rupture de niveau, où l’espace devient sacré, réel par excellence », l’ancien palais communal devient une imago mundi, un espace sacré prêt à accueillir la glorification médicéenne, un espace en contact avec la divinité et, par extension, en contact avec l’éternité.

Carole

Photo by Pinterest

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